Présentation :
Pourquoi s’intéresser à George Steiner ? Peut-être pour tenter d’apporter quelques éléments de réponse à cette question : que signifie être de culture occidentale ? Steiner n’y apporte pas de réponse toute faite, mais nous emmène là où sont nos racines culturelles en portant sur elles un regard singulier. « Au commencement est le Verbe. » Telle est la profession de foi de George Steiner. Pour lui, l’existence est linguistique et le langage est un élément essentiel. Le pouvoir de ce dernier est immense : l’homme a la particularité d’avoir élaboré une grammaire du futur lui permettant d’inventer l’avenir et de dépasser les faits tels qu’ils sont. Et, même si le langage traverse des crises, pour Steiner, même Babel est une bénédiction, c’est la richesse de la multiplicité des langues.
George Steiner, c’est aussi une manière particulière de lire le monde et une quête permanente du sens, car pour lui, derrière le langage ou la création artistique, il y a une « réelle présence », le postulat que l’être-là est face à un au-delà de lui.
****************************************
Intellectuel inclassable, George Steiner nous invite à un voyage dans la culture. « Au commencement est le Verbe ». Pour Steiner, l’existence est linguistique. Il n’est aucune mythologie, aucun récit, aucune pensée qui ne postule une origine verbale. Nous verrons, avec lui, que chaque temps futur, chaque conditionnel est une résistance contre le carcan du biologique, de « l’humain trop humain ». Nous sommes une créature de langage et une création du langage. Le pouvoir de ce dernier est immense. Et d’abord, parce que l’homme est le seul à avoir élaboré une grammaire du futur. Ce triomphe du néocortex constitue pour nous une condition de survie essentielle, par l’apanage qu’a le verbe de dépasser les « faits tels qu’ils sont ». C’est une réelle contribution à l’évolution, un peu comme si la sélection naturelle avait avantagé le subjonctif et qu’ainsi l’homme ait la faculté de contredire le monde, de le parler autrement. Pour Steiner, nous exploitons le temps selon les directives de la grammaire du verbe. Le passé existe-t-il en dehors de la grammaire ? La mémoire ne s’organise-t-elle pas en fonction du temps du passé du verbe ? D’autre part, il faut admettre notre besoin irrésistible de dire la chose qui n’est pas. Là résident la liberté de l’homme et le génie du langage. C’est pourquoi Steiner martèle cette idée que le langage ne devrait s’arrêter devant aucune frontière. L’homme peut créer à travers sa capacité de nommer, faire et défaire par la parole. Mais il arrive que le mot se retire, qu’il y ait rupture du contrat entre langage et réalité. La langue semble alors se complaire aux confins du mutisme. Et c’est la tentation du non-dit, devenu le seul moyen de dire l’essentiel. À cela s’ajoute le fait qu’avec la science moderne, se développe une pensée non-verbale. Mais le mot n’est pas mort. Babel est là pour en témoigner. C’est la richesse de la multiplicité des langues. Mais Babel, c’est surtout l’affirmation d’une vérité : la traduction est implicite dans tout acte de communication. Des écrivains comme Walter Benjamin, Franz Kafka et Jorge Luis Borges se sont longuement étendus sur le thème de Babel. Pour Borges, la « bibliothèque de Babel » serait une bibliothèque totale, les myriades de mots des hommes devant mener à la syllabe cosmique oubliée, le nom de Dieu. C’est aussi l’idée d’un idiome absolu et la certitude que la somme du savoir est cachée à l’avance dans un ouvrage ultime. Pour le professeur de littérature comparée qu’est George Steiner, l’histoire de la traduction va organiser la pensée occidentale, si bien qu’on peut légitimement se demander dans quelle mesure le développement des termes clés de la philosophie et de la science n’a pas été conditionné par les traductions successives. Dans notre progression à travers la connaissance, y a-t-il une porte qu’il ne faut pas ouvrir ? Pourquoi la culture n’a-t-elle pas pu empêcher la barbarie ? On aimerait encore pouvoir souscrire à la « joie en acte » de Spinoza après la faillite de l’homme qu’est Auschwitz. Et si l’entrée dans le « Château de Barbe bleue » commençait par un solide ennui, à la suite, par exemple, des guerres napoléoniennes ? Et si la fin des croyances s’avérait plus dangereuse qu’on ne l’avait cru ? Nous ne croyons plus au progrès permanent et nous devons désormais affronter une vision de la culture dénuée de tout rêve. Devrons-nous donner raison à Dante qui voyait se fermer la porte de l’avenir ? La culture s’est fourvoyée avec la barbarie. Et cette même culture pourrait jouer contre l’homme demain aussi, à travers le glas de la culture classique et la retraite du mot. Nous sommes en quête d’origine, hantés par la création. Mais quand il crée, l’homme vient toujours après le Créateur en six jours, dont il tente parfois de se faire le rival. Même si la construction philosophique et l’œuvre d’art aspirent à être intemporelles, leur production a lieu dans le temps.
livre parmi les finalistes du grand prix d'histoire et de la littérature de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique: https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/01/14/prix-litteraires-academie-2021-les-selections-suite/
****************************************
L'auteur :
Agrégé de Lettres, Christian Napen a toujours manifesté une réelle passion pour la philosophie. Sa vie professionnelle s’est partagée entre l’enseignement et la politique.
Il a enseigné le français, l'histoire et la philosophie.
Il fut également conseiller au Cabinet de la Culture mais aussi attaché au Cabinet du Ministre-Président de la Région wallonne, conseiller à la Présidence du Parlement wallon, conseiller au sein du Cabinet du Ministre wallon de l’Économie.
À côté des missions de représentations des ministres ou du Président de l'Assemblée, l'essentiel de ses activités a consisté en la rédaction d'ouvrages, de discours, de conférences et de cours universitaires mais aussi en la rédaction d'un certain nombre d'articles dans de grands quotidiens belges.
Sa réflexion a, jusqu’à présent, essentiellement porté sur la philosophie politique.